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Des gens qui dévorent l’espace peuvent bien brûler la politesse. Résigne-toi, vieux (je t’appelle par tes titres, remarque-le, je te traite en camarade), ôte-toi de là et donne-moi les clefs.

Entends-tu ? je le dis de quitter la scène, de sortir du livre, de t’en aller du journal.

Il y a des années, des années d’horloge que tu encombres. Regarde à tes pieds : c’est du propre ; ton art délayé coule de tous côtés. Tu n’as pas honte ?

Comment ! des hommes d’honneur, des colonels, des employés de chemin de fer, des ouvriers du peuple qui n’ont plus rien à suer, réclament leur retraite et tu t’obstines à faire du service.

Sais-tu, qu’une nuit, las d’attendre, nous recommencerons le massacre des Innocents ?

Si tu te dépêches de mourir, tu éviteras une fin violente.

La place libre, je m’installe. Ah ! j’ai du travail pour une éternité et je vois tant de choses que mon œil éclate. D’abord tout est à refaire.

Premièrement, il convient de nettoyer les narines d’Augias du public.

Ensuite je peindrai mon enseigne, ce qui me prendra beaucoup de temps. Après, je bâtirai un art définitif. Il montera jusqu’au ciel sans toucher à la terre, puisque le naturalisme est mort, et mes enfants passeront gaîment leur vie, la pomme d’Adam en l’air, à le contempler.

Allons, l’ancien, vide les lieux, qu’on aère et qu’on retourne ce que tu as souillé.