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Le condamné simulait des escalades en criant :

— Prends garde ! je me sauve, moi, tu sais !

Il jouait à cache-cache, s’étendait de son long au bas de la porte, ne remuait plus. Il était parti.

— C’est un bon vivant, dit Avril.

Ils purent causer, se comprendre, malgré l’épaisseur de la porte. Le condamné dit son crime, sa défense qu’il avait soutenue lui-même, le jugement, sa dégradation de sous-officier et ses idées sur l’autre monde. C’était un garçon intelligent, de l’aveu même du tribunal. Il avait stupéfié le directeur de la prison en lui montrant un bout de papier noir de chiffres.

— J’ai calculé, lui avait-il dit, le poids total du plomb que les hommes désignés pour me fusiller logeront dans ma poitrine, s’ils visent bien !

Il avait ajouté simplement :

— Je ne compte pas le coup de grâce du sergent.

Parfois, il occupait ses loisirs à replaider sa cause, et déclamait, haut et clair, debout sur sa couchette, des phrases attendrissantes.

— Mes sommeils, dit-il à Avril, ne sont pas toujours calmes, et il m’arrive de rêver que ma mort, ma mort à moi, s’approche en tâtonnant.

— Bleu, dit-il encore, tu seras peut-être un jour à ma place !

— Vous me donnez la chair de poule, répondit Avril ; mais je m’oublie à bavarder, et c’est défendu. Il faut que j’aille voir un peu les autres. Ne bougez pas, hein ! Restez bien tranquille. Je reviendrai dans dix minutes.

— Bleu, du tabac ?