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— Je dois ne pas perdre de vue le toit de la prison, les fenêtres des prisonniers, les murs de la cour, et, toutes les dix minutes jeter un coup d’œil dans la cellule du condamné à mort. En cas d’alerte, je me suspends à la cloche que voilà, et le personnel saute du lit.

— Est-ce tout ?

— Ah ! j’oubliais les lapins.

Il se garda de rire, d’abord parce que le caporal Mélinot n’était plus là, ensuite parce que le soldat Avril n’aimait pas rire, tout seul, dans la nuit et le silence.

En un coin de la cour, les lapins dormaient sans doute, et leur cage paraissait inhabitée. Il céda à la tentation de passer sa baïonnette dans une maille du grillage. Les lapins s’entre-croisèrent pour changer de place, et exhalèrent un effluve chaud et doux comme une caresse de fourrure.

— Je préfère qu’ils aient donné signe de vie, se dit Avril, et je me sens plus à mon aise.

Il ne les dédaignait pas comme compagnons et volontiers les eût flattés de la main.

Un unique bec de gaz éclairait la cour, et sa flamme se débattait contre les ténèbres, comme un oiseau qu’on étouffe. Debout, bien au centre du rayonnement, Avril attendit. Il n’espérait pas monter ses deux heures de garde sans aventure, et déjà les formes des choses l’inquiétaient, l’une comme à cheval sur le mur, cette autre penchée, menaçante, au bout d’une gouttière.

Il se disait :

— C’est un effet d’optique ; l’ombre joue avec ma peur !