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Il se mêla au groupe. Les parieurs s’échauffaient.

— J’en porterais deux, disait un soldat.

— Tu n’en soulèverais pas seulement un, répondait un autre.

— J’en porterais deux. C’est moi qui te le garantis, moi, Mélinot.

— Pas la moitié d’un ; je t’en défends, moi, Martin. Tu ne sais donc pas comme c’est lourd, un homme qui fait le mort.

Avril trouva bonne l’occasion de donner son avis. Ses camarades n’en seraient que flattés, et d’ailleurs, il aimait les études de mœurs.

— Oui, c’est lourd, dit-il.

Déjà Mélinot retroussait ses manches :

— Je parie un litre. Allez-y. Qui est-ce qui se couche parterre ? Toi, Martin ; mais j’en veux un second, un gros, ça m’est égal, et je vous jetterai tous deux sur mon dos comme des sacs à raisins.

Les mains s’agitèrent : « Moi ! moi ! » Et Avril s’offrit comme les autres. Mélinot hésita, soupesant les plus massifs, avec des moues de connaisseur. Enfin, pour que son triomphe éclatât davantage, il choisit Avril, à cause de ses mains blanches, de sa chair grasse, et il montrait une telle assurance que Martin eut des craintes, fit à Avril ses recommandations.

— Surtout, lui dit-il, imite bien le mort. Ne te raidis pas. Abandonne-toi, les jambes et les bras mous. Laisse ballotter ta tête et ton ventre.

— Sois tranquille, dit Avril.

Heureux de jouer son rôle en camarade pas fier, il songeait :