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sabot de bœuf, des aiguilles de glace se brisaient avec un grésillement agaçant pour ses dents. Sur toute la rivière se répercutait l’écho des craquements sonores. Le canard se cachait derrière une touffe de joncs, un saule, une pile de bois carrée comme une table où la neige aurait mis une nappe, réapparaissait et s’évanouissait encore au plus épais des flocons, toujours loin du bord.

Du coin de l’œil, M. Mignan observait Levraut qui maintenait son allure indifférente, la queue basse, comme un chien de luxe à bouche inutile. Tantôt il souhaitait de le tenir là, entre ses deux genoux, et de lui donner des coups de poing sur la tête, sans compter, et sans pitié pour ses hurlements, les cloches du village voisin dussent-elles s’en ébranler ; tantôt il soufflait fortement et son haleine fumeuse lui rappelait d’étonnantes histoires, où, sous l’action du froid, les paroles se solidifient, dans l’air, en morceaux de glace gros comme des berlingots. Déjà une couche de neige alourdissait sa marche. Au fond, il rageait de toutes ses forces.

— Une perche quelconque serait peut-être une perche de salut !

Il tenta d’arracher une branche de saule, mais, pour une violente secousse, une brindille inoffensive lui resta dans la main. D’une nature apoplectique, il avait le sang aux joues et la neige fondante le cuisait désagréablement. Ils arrivèrent au barrage du Gautier.

— Cette fois, canard, mon ami, tu vas te cogner le nez. Finie la balade !

Pas le moins du monde ! Une pelle se trouvait