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J’ouvris la porte, au bout du couloir. Je m’arrêtai sur le seuil. La nuit était impénétrable.

— Qui est là ? dis-je à travers la cour.

Le silence pesa.

— Qui est là ? répétai-je intrigué.

Personne ne me répondit au dehors, mais la sonnette tinta doucement derrière moi.

Était-ce donc le malade lui-même qui sonnait ? Et ne pouvait-il parler ?

La clarté du couloir projetait dans la cour un couloir de clarté.

J’allai à pas rapides jusqu’à la porte de la rue ; les verrous claquèrent coup sur coup et le vantail gémit sur ses gonds.

Si quelqu’un lit un jour cette histoire, ce quelqu’un sait déjà ce qui était derrière la porte ; car je ne suis pas un littérateur habile à ménager ses effets, mais un homme tout d’une pièce, qui rapporte ce qu’il a vu comme il l’a vu.

Un moment, je restai stupide. L’apparition se tenait immobile, à peine visible. J’apercevais la tête affreusement pâle de Jean Lebris. Sa maigreur n’était pas de ce monde ; ses traits semblaient fixés dans une éternelle gravité, et ses paupières closes paraissaient dormir le dernier sommeil. Il me faisait face, et il n’était ni couché, ni appuyé contre un mur, mais tout droit ; et je distinguais son corps comme une ombre dans l’ombre.

Mon saisissement, s’il faut le chronométrer, ne dura pas un dixième de seconde. Le fantôme chuchota :

— C’est vous, docteur ?

Et une forme épaisse, que je n’avais pas encore discernée, se détacha des ténèbres à côté de lui.

— Bonsoir, mon vieux ! dit la forme, à voix basse et joyeusement. C’est moi : Noiret. Je t’amène Jean Lebris ! En fait de surprises, qu’est-ce que tu dis de celle-là ?…

— Jean ! m’exclamai-je en prenant les mains du jeune homme. Mon cher Jean !

Il sourit d’un air bienheureux ; et nous nous embrassâmes, encore que les effusions ne soient guère mon fait.

— Pas de bruit ! dit Jean. Il faut que personne ne se doute, ce soir… Il ne faut pas que maman sache… Demain vous le lui direz, n’est-ce pas ? avec des précautions…

Noiret — un ami à nous, qui habite Lyon — m’expliquait :

— J’ai laissé mon auto avec le chauffeur, au coin du Mail. Nous sommes venus la nuit, pour que Jean ne soit pas reconnu.

— Entrez, dis-je plein d’allégresse.

— Non, moi, ce n’est pas la peine ! Non ! insista Noiret. Je m’en retourne. J’ai quatre-vingt-deux kilomètres à faire !…

— Je ne sais comment vous remercier…, lui disait Jean.

Il se mit à tousser.

— Allons, il faut entrer, Jean ! Venez !

Mais, tout en lui parlant, je me livrais vis-à-vis de Noiret à une mimique aussi expressive que la pénombre le permettait, me touchant les yeux, montrant ceux de Jean qui restaient fermés, et faisant avec ma tête des mouvements interrogateurs.

— Au revoir, Jean, à bientôt ! dit Noiret. Soignez-vous bien… Au revoir, mon vieux Bare.

Puis, dans un murmure, contre mon oreille, il me glissa le mot terrible :