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où les formalités se poursuivaient, le receveur, prenant comme point de départ l’appareil téléphonique, se mit à suivre le fil conducteur, comme Mochon et Juliaz avaient suivi la trace des autos.

Cette opération l’amena au dehors, derrière la maison, au delà de la cour. Le fil, aérien, longeait la rue de la Botasse, où ne donnent que des cours et des jardins. À une certaine distance, il était coupé au ras d’un isolateur. Sa partie longue traînait dans le ruisseau ; c’était justement celle qui restait en relation avec l’appareil du docteur. Le receveur la ramassa, en examina le bout de très près, et sourit d’un air triomphal.

À quelques centimètres de l’extrémité, le fil de cuivre, fraîchement décapé, portait une petite éraillure toute ronde.

— La pointe d’une vis ! La vis d’une borne ! Voyez, messieurs ! disait le receveur à ceux qui l’entouraient. Ce fil a été mis en contact avec un appareil portatif. C’est d’ici qu’un inconnu a lancé son appel au Dr Bare. C’est d’ici que la fausse nouvelle est partie ! Mon service n’y est pour rien, messieurs ! Pour rien !

— Tout s’explique, dit Mochon.

— Tout du comment, rien dit pourquoi ! répliqua son lieutenant.

La descente de justice eut lieu dans l’après-midi. Le désordre du logis avait été soigneusement préservé de toute modification. Le corps du docteur, transporté à l’Hospice, reposait dans une petite salle. Un médecin légiste accompagnait les magistrats. Il pratiqua l’autopsie, qui ne donna aucun résultat propre à servir l’instruction. La balle, tirée à bout portant, avait traversé la tête et s’était allée perdre au loin. Le permis d’inhumer fut délivré sur le champ.

Le procureur, cependant, avait entrepris l’examen de la maison, et recherchait en vain le mobile de l’assassinat. Tout ce qu’on pouvait déduire de la mort du docteur et du vol de ses papiers, c’est que Bare devait être en possession d’un secret important, et qu’on avait voulu supprimer de sa part toute velléité de s’en servir ou de le divulguer. Quant à la nature du secret, toutes les suppositions étaient permises.

Il y a des morts qui parlent ; les écrits qu’ils laissent après eux attardent leur pensée et leur prêtent un langage d’outre-tombe.

Le procureur voulut qu’on fouillât les meubles jusqu’en leurs interstices. Les marbres des commodes furent soulevés, les dessous des tiroirs inspectés à la lumière de lampes électriques ; on feuilleta les livres de la bibliothèque ; les habits de la garde-robe subirent une visite implacable. On ne trouva rien. Pas un bout de papier noirci d’encre, pas un mot d’une écriture quelconque. Cette perquisition — comme on en eut la preuve — avait été faite par les meurtriers avant les magistrats.

Ceux-ci se retirèrent. Pourtant, il fut décidé, pour les facilités de l’instruction, que la torpédo serait mise sous scellés ainsi que la peau de bique et la toque de fourrure dont l’un des malfaiteurs s’était servi pour emprunter la ressemblance du Dr Bare.

Au moment d’emporter le vêtement et la coiffure, le greffier remarqua que la peau de bique, de par le sort spécial qui lui était fait, avait échappé à ses investigations. Il eut alors l’idée de plonger sa main dans l’une des poches intérieures ; et c’est fort tranquillement, sans se douter du prix de sa trouvaille, qu’il en retira quelques feuilles de papier blanc pliées en quatre et couvertes d’une écriture fine et serrée. Les autres poches étaient vides.

La connaissance de ce manuscrit démontra péremptoirement que les assassins ne l’auraient pas laissé derrière eux, s’ils avaient su que la peau de bique le