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— Prosope ! m’écriai-je dans la solitude.

Quelques minutes plus tard, mes appréhensions étaient confirmées. Accouru sur les lieux, je ne pus que constater l’anéantissement du laboratoire de radiographie dans une flambée crépitante. — Par bonheur, l’isolement du pavillon permit de circonscrire le désastre, et les salles de malades furent préservées du feu.



X. —

LES DERNIERS JOURS DU PHÉNOMÈNE



L’enquête ne permit pas de découvrir comment l’incendie s’était déclaré. C’est en vain que je parlai de malveillance ; plus d’un supposa que j’agissais de la sorte pour couvrir ma responsabilité, voiler quelque imprudence que j’aurais commise ; et je vis bien qu’il était préférable de ne plus rien dire.

D’ailleurs, n’était-ce pas effectivement une « imprudence » que d’avoir préparé sans aucune discrétion la séance de radiographie ?… Pour moi, la vérité ne faisait aucun doute : Prosope veillait, il entretenait à Belvoux des espions à sa solde. — Cela étant admis, il en fallait déduire que Jean Lebris était menacé d’un coup de main.

Ce fut, au demeurant, l’avis de l’intéressé. Nous délibérâmes, Jean et moi. J’insistai pour qu’il me laissât prévenir la police des dangers qui l’entouraient. Mais la difficulté de le faire sans trahir le secret de ses yeux l’en détourna ; et, à cette occasion, je dus lui renouveler mes promesses de silence.

Il fut donc convenu que nous prendrions, chacun de notre côté, toutes les précautions possibles, et la chose en resta là.

Un instant, toutefois, je fus sur le point de confier mes alarmes à Mlle Grive. En effet, Jean ne pouvait et ne voulait cesser tout à coup de sortir avec elle ; et il me paraissait bien téméraire, pour cet infirme en péril, d’errer seul dans les bois avec une enfant sans méfiance et sans force. Là aussi j’aurais voulu m’interposer ; mais le damné secret paralysait toujours ma bonne volonté. Alors même que Fanny eût accepté de vagues explications sur la cause de mes craintes, quelles mesures aurait-elle prises que Jean n’eût pas pénétrées ? Comment, par exemple, munir la jeune fille d’un revolver, sans que le faux aveugle ne s’en aperçût et ne m’en tînt rigueur ?…

Hélas ! je n’eus pas longtemps à craindre que Jean Lebris fût attaqué au cours d’une promenade.

Comme je m’apprêtais à le conduire à Lyon pour le faire radiographier, une crise violente, accompagnée d’hémoptysie, le terrassa. Nous le couchâmes. Il ne devait pas se relever.

J’estimai sur-le-champ qu’il ne vivrait pas au delà d’une quinzaine. Dès lors, nous n’eûmes plus d’autre souci que de l’assister. Fanny s’installa à son chevet, aidée de Césarine, de Mme Fontan et — beaucoup moins — de la pauvre Mme Lebris. Je m’autorisai de la faiblesse du malade pour interdire l’accès de sa chambre à quelque étranger que ce fût, et je passai près de lui tout le temps dont je pus disposer.

Jean Lebris fut d’abord la proie d’un accès de fièvre pendant lequel il perdit complètement la notion du réel. Les crispations de sa face et le geste répété