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des plus malaisé. Il observa, pour l’une d’elles, des embardées qui lui parurent des témoignages de vitesse, puis une glissade révélatrice d’un coup de frein brutal, et l’arrêt du véhicule, indiqué par une sorte de talonnement qui avait creusé des ornières juste en face des trois pas, à la hauteur du cadavre.

Et il se demanda quelle raison avait obligé l’automobiliste à stopper dans sa fuite et à sauter de voiture pour gagner le bois, ainsi qu’il paraissait.

Mais ces premières recherches avaient pris du temps. Le jour était venu. Une charrette de paysan se montra. Sur l’ordre des gendarmes, elle fit halte au large. Il fallait profiter de la complaisance du sol et interdire le chemin à tout véhicule, jusqu’à ce que la terre eût, si l’on peut dire, achevé sa déposition.

— Vous voyez qu’on l’a parfaitement volé, disait Juliaz. On lui a pris sa peau de bique, son couvre-chef et son automobile.

En effet, la torpédo était repartie après le meurtre, filant du côté de Belvoux. Juliaz, consciencieusement, empauma cette piste, tandis que Mochon, à tout hasard, remontait vers Salamont pour tâcher de découvrir quelque indice sur le mystère qui avait fait rebrousser chemin à la victime du guet-apens.

Ils étaient peut-être à cent cinquante mètres l’un de l’autre, quand ils se hélèrent réciproquement, avec de grands gestes. Mochon, étant le plus jeune, rejoignit son camarade. Celui-ci lui montra de nouvelles traces, profondes, larges, appuyées, prouvant qu’une puissante automobile, de vaste empattement, s’était mise en travers de la route avant de reprendre, elle aussi, la direction de Belvoux.

— Il se peut, dit Juliaz, que ce soit simplement pour tourner…

— Non, répliqua Mochon, je ne le pense pas, car je vous appelais pour constater exactement la même chose là-bas.

— Oui ?…

— Et moi, c’est une autre voiture, reprit Mochon. Vos pneus, ici, forment une espèce de treillage ; les miens, là-bas, sont d’une autre fabrication. Tenez ! les voilà, les miens, qui passent également devant nous…

— Bien sûr, ce ne sont pas les mêmes, approuva Juliaz. Du reste, les miens n’ont pas été plus loin ; ils se sont arrêtés où nous sommes… Alors, si je ne m’abuse…

— Alors, il y avait deux grosses automobiles qui ont barré le passage, à cent cinquante mètres l’une de l’autre…

Ils se regardèrent, dans la satisfaction du succès.

Sauf erreur, la scène de l’embûche se reconstituait ainsi :

Pour une raison que l’on connaîtrait sûrement par la suite, le Dr Bare s’était trouvé, roulant par une nuit noire, sur la route de Belvoux à Salamont. Dans la traversée du bois des Thiots, la clarté de ses projecteurs lui avait montré tout à coup l’obstacle d’une grande automobile, tous feux éteints et placée en travers de la route, de telle manière qu’il ne pût passer outre en se faufilant à droite ou à gauche. Cette vue l’effraya certainement, et il dut se douter d’un péril ; sa précipitation à faire demi-tour en témoignait.

Par une de ces volte-face dont il avait la spécialité, il put en quelques secondes renverser les chances et piquer sur Belvoux à toute allure, pensant que la grosse voiture ne pourrait prendre la chasse qu’au bout d’un moment et comptant sur la célérité de la torpédo pour garder sa distance.

À peine était-il lancé qu’il aperçut devant lui un autre obstacle, sous la forme d’une deuxième automobile. On l’avait enfermé. Une ruse hostile triomphait.