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NOS FRÈRES, LES PAYSANS


force, comme une charrue, et il écrit, sur du papier à fleurs, au ministre de la guerre. La lettre lui revient par le préfet à la mairie. Ça le vexe d’abord qu’on connaisse son secret. Bientôt, il oublie et redonne sa confiance à la République. La preuve, c’est qu’il se laisse nommer membre d’un comité républicain, où il espère que, pour ses vingt sous d’inscription, il aura droit à une retraite paysanne.

S’il se nourrit mal, faute d’argent, et si, au besoin, il s’habitue à ne pas boire, faute de crédit à l’auberge, il n’aura jamais le courage de se priver d’amour, et il s’enorgueillit d’une tapée d’enfants, qu’il aime sans tendresse démonstrative, et qui tous, chose incroyable, persistent à vivre. Je ne compte pas le petit assisté, une ressource, un trésor pour la famille.

Il connaît un autre plaisir : dormir en hiver. Ce travailleur d’été, aux champs dès l’aube, brûlé de soleil tout le jour, acharné jusqu’à ce qu’il n'y voie plus, se couche en l’hiver à cinq heures, dort douze heures à l’étouffée, dans la plume, se lève le matin, avec une lanterne, pour " donner un morceau " à la vache, et se recouche pour dormir.

Mais il ne s’habitue pas, bien que verbalement patriote et très dur pour l’étranger, aux menaces