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L’ŒIL CLAIR


le plus savoureux. Il ne bouge dans aucun sens. Il possède la maison paternelle, un champ, un jardin, une chèvre et une douzaine de moutons, rarement une vache, qu’il mène sur les routes ou sur le chaume commun. Il dit volontiers qu’il y aura toujours des riches et des pauvres ; il n’ajoute pas, inutilement, car on le sait : " le pauvre, ce sera moi ".

Dans la belle saison, il travaille chez les fermiers. Il ne gagne des sous que là, sans lendemain assuré. D’ordinaire, le ménage vit de pain, de soupe claire, à l’eau, au sel et au lard, de salade, d’oignons crus et autres primeurs. Le beurre coûte trop cher ; ils n’aiment pas les œufs, parce qu’un œuf se vend et rapporte à la ménagère. La poule se vend aussi, puis le lapin, qu’on avait d’abord l’idée folle de manger un jour de fête.

On se demande où ils mettent tout cet argent. On dit : quels avares ! Mais outre qu’il faut d’abord payer les contributions, et qu’une dette mystérieuse les ronge peut-être toute la vie, leur avance n’est que l’aspect définitif d’une sobriété nécessaire. Ayant l’habitude d’être sobres, ils poussent cette vertu jusqu’à la paresse. Cette paysanne pourrait bien faire une bonne soupe ! Elle savait autrefois ; mais aujourd’hui, paresseuse