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L’ŒIL CLAIR

Je ne sais pas ce qu’elle a sur la tête, un vieux chapeau, un fond de panier, ou un nid de poule de l'année dernière. Sous cette coiffure, un serre-tête noir retient ses derniers cheveux. Par son caraco déboutonné, sa chemise entr’ouverte, on voit sa poitrine jaune comme de la terre glaise battue, et les seins sont aplatis comme des mottes.

La peau des joues est vide. Plus qu’une dent, trop remarquable. Les yeux vont s’éteindre.

Mais la régularité du front et du nez me fait penser à ses dix-huit ans. Cette vieille a fait l’amour comme vous, à peine un peu moins bien, ma belle amie.

Elle mange d’un seul côté de sa bouche, son morceau de pain, et boit de l’eau tiède à un litre caché dans la haie.

Mes regards prolongés la gênent.

— Ah i Monsieur, dit-elle, les paysans ont bien de la misère.

— Oh ! je le sais, maman Nanette.

— Vous le voyez, dit-elle, vous ne le savez pas par vous-même.

— C’est vrai. Reposez-vous, un moment, sous votre chêne.

— Mon chêne, dit-elle. Je n'en ai que la moitié ; et mon voisin prétend qu’il est tout à lui. Je