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L’ŒIL CLAIR


dans votre journal qu’il faudra désormais être riche pour se vanter de boire du Champagne ; les pauvres devront avouer qu’ils ne boivent que du mousseux.

— Ce sera pour les étudiants un nouveau motif de révolte.

— Croyez bien qu’on trouverait encore au fond de leur colère des soucis d’argent et un autre malaise inquiétant. Quelques-uns s’amusent à crier : " A bas Lépine ! ", d’autres, les plus nombreux, se taisent, fatigués, écœurés, vaincus d’avance, et c’est plus grave que de jeter en l’air des képis de sergents de ville. Leur état esprit est commun à une grande partie de la jeunesse. On leur a dit, à ces jeunes gens : M Vous êtes libres ! allez, lancez-vous sans crainte ! Vous n’avez qu’à travailler, et à être intelligents ; depuis que nous sommes les maîtres, la justice règle le monde ! " Et ils s’aperçoivent tout de suite que c’est l’argent. Pour réussir, il faut d’abord de l’argent. Quel mérite ferait d’un fils d’ouvrier ou de paysan un ordinaire médecin ? Tout se paie, les livres, les inscriptions, les examens. Mais ce qui étonne le plus les jeunes naïfs, c’est le piston, le fameux piston qu’ils croyaient fondu au clair soleil de la République : ces yeux de jeune homme, qui s’ouvraient à un avenir rayonnant de luttes égales, n’aperçoivent