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DIALOGUE DU JOUR

— Et après ?

— On meurt en triomphe, à l’heure qu’on s’est fixée.

— Et le bonheur ?

— On l’a eu.

— Comment dites-vous ?

— Je dis : on l'a eu, par-dessus le marché, sans s’en apercevoir.

— Sans prendre le temps de le goûter ?

— On le goûte en courant. Le bonheur, c’est quelque chose de rapide, de mêlé, de violent et de vague, qui bouscule et suffoque. L’unique bonheur, c’est d’être très fort, dans un tourbillon.

— Et d’avoir du talent ?

— Je répète que le talent n’est pas inutile.

— Ne saurait-il suffire ?

— Seul, il ne sert à rien.

— Ne pourrait-on point, par exemple, écrire une belle oeuvre et se f... du reste ?

— Une belle œuvre ! C’est dix, vingt livres ou pièces qu’il faut écrire pour être fort.

— Vingt ! si on peut.

— On le doit.

— Je les suppose écrits ; j’espère qu’alors on a le droit de se reposer.

— Pour être plus fort ?