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L’ŒIL CLAIR


leur cœur et le mien. Il y a tel d’entre eux que je n’oserais pas me vanter d’avoir aimé.

Comment, j’ai dit mes secrets à ce gros garçon ? Je me suis enthousiasmé, j’ai désespéré avec lui ? Mais c’était un goujat. Il l’a bien prouvé. Quel lourdeau ! Quel torchon d’amitié avais-je sur les yeux ? Pouah !

Tandis que cette petite bonne femme que je me rappelle, elle était amusante comme une volière. Riait-elle ! Et celle-là, n’avait-elle pas la manie de se croire pour moi une affection de mère. Oh ! elle a été bonne quotidiennement comme le pain frais. Où est-elle maintenant ? Morte ?

Je ne regrette pas un ami. Vanité sans doute. Mais je regrette comme un égoïste (égoïste vieillissant) toutes les femmes qui m’ont aimé.

Qu’est-ce que vous avez à friper votre jolie bouche ? Vous n’êtes pas, je suppose, ma maîtresse.


P. S. C’est peut-être à l’oreille qu’on reconnaît d’abord que l’amitié change. Oui, tout à coup, dans la voix de l’ami, il y a un cheveu.


Certains amis ne sont aimables qu’aux fiançailles. Dès qu’on est marié avec eux, ça ne va plus.