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L’ŒIL CLAIR


— ... Oui ! la plus fausse, la plus niaise, la plus basse, n’aient quelque chose de (je cherche un autre mot, je n’en trouve pas), de désagréable, de physiquement désagréable, comme l’averse par un beau temps, l’épine au doigt, le choc au genou, la mouche dans le bol de lait.

— Alors, fâchez- vous !

— Je me fâche !

— Faites-le voir ! Répondez à ces critiques ; répondez-vous ?

— Jamais. Ou plutôt si, toujours. J’écris la réponse, aussi spirituelle, accablante, méprisante, définitive que je peux, mais je ne l’envoie pas.

— Vous la déchirez ?

— Je la garde !

— Pourquoi ?

— Parce qu’au moment de cacheter la lettre, à a dernière seconde, on a la vision nette de l’homme inutile, irresponsable, affolé et douloureux que doit être un critique professionnel, la notion claire de l’indulgence et de la pitié qu’il mérite ! Ce n’est pas un adversaire, ce n’est, comme on l’a défini, qu’un monsieur indiscret qui se mêle de ce qui ne le regarde pas ! A la vanité succède l’orgueil. On se dit : " Ah ! non, tout de même. " Et on serre la lettre dans un tiroir ! Elle est écrite, ça suffit.