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J’ai en effet une collection d’amis imaginaires que je fais intervenir à propos, infâmes ou vertueux, selon la thèse à soutenir. J’en ai de très riches : ils possèdent des châteaux à l’étranger, et, importuns, me supplient d’y aller passer quelques mois. J’en ai de pauvres, qui mènent, dans l’ombre, une vie de reclus, et préparent leur grand œuvre silencieusement.

— « Mais quant à cet autre, dis-je, il m’est impossible de le voir sans dégoût, et je n’en parle que pour provoquer un haut-le-cœur. Croyez-vous qu’il s’est installé au milieu d’une famille complète ? Il la ronge, pourrit la mère, conseille le père, dirige l’éducation des enfants, préside à table, et organise la dépense ! »

Les bras croisés, mes doigts tambourinant sur la manche de ma redingote, je pose à Monsieur Vernet cette question :

— « En toute sincérité, que dites-vous de cet être-là ? »

— « Je dis que c’est un cochon, voilà ce que je dis ! »

De mon côté, je fais :

— « Bêe, bêe. »

comme une chèvre, ou comme un baby qui