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— « J’ai un ami, de mon âge, que je respecte autant qu’un frère aîné. Il rencontre dans la rue une femme quelconque, la suit, s’attache à elle, n’ignore pas qu’il a eu plus d’un prédécesseur, mais ne songe qu’au dernier. La manière dont ils ont permuté le préoccupe :

— « Quand l’as-tu quitté ? »

— « Encore ! Mais puisque je ne l’aime plus. »

— « Réponds : quand l’as-tu quitté ? »

— « Quand je t’ai trouvé. »

— « Alors c’est moi qui l’ai remplacé. »

— « Naturellement. »

— « Ainsi, tu l’as planté là pour moi, à cause de moi ? »

— « Sans doute : pourquoi ? »

— « Pour rien », dit mon ami.

Il prend son chapeau, part et ne revient plus.

— « C’était exagéré, dit Monsieur Vernet, mais tout de même gentil de sa part. Il compatissait à l’infortune d’un étranger ! »

Je n’ajoute pas :

— « L’ami c’est moi ! »

On le devine aisément.