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Mais au moment où je redoute qu’on ne me croie plus (car à la manie de mentir je joins celle de prétendre que je mens habilement), et comme Madame Vernet, troublée par mes vanteries, traite son repas de frugal et réclame mon indulgence :

— « Ah ! dis-je, plût aux cieux que j’en eusse tous les jours autant ! »

Avec une souplesse dont je ne me rends pas compte et qui pourrait me faire prendre pour un farceur, je passe des grands restaurants aux petits à vingt-cinq sous (pourboire compris).

Je faisais le musulman fastueux. Me voilà franciscain. Monsieur et Madame Vernet m’écoutent, plus sympathiques. Les souffrances de mon estomac donnent à leur dîner une importance. Ils m’enviaient : ils vont me plaindre. Je possède mon sujet et je parle avec facilité. Ça coule de source, semble-t-il.

— « Que de fois, absorbé par mon travail, il m’est arrivé d’oublier de dîner, comme on oublie son mouchoir, un objet futile ! Si jamais j’ai fait quelque chose de passable, ç’a été ces jours-là. Mes moins mauvais vers, je les dois à ma faim négligée. »