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Renversant nos têtes lourdes, de métal, nous apercevons le phare et sa lanterne incendiée par le soleil couchant. Il est là, tout près, le phare ! Il suffirait d’allonger le bras pour s’y cramponner. Mais la nuit vient. Le soleil disparu, le phare allume sa lanterne, et entre nous et lui la distance reste la même. Nous renonçons au port, et, nos maux un peu calmés, nous entrons dans une vie de songe. Une demi-nuit nous enveloppe. Les lueurs du falot illuminent la voile, et le bateau soulève, par gerbes, les fleurs de feu de la mer. On n’entend que le bruit du flot, ce bruit d’un tapis qu’on secoue, et le mâchement des deux marins, qui mangent encore, accroupis sur les paniers de provisions et les bouteilles. Les membres cotonneux, nous ne savons plus où nous allons. Il nous serait égal de mourir.

— « J’en ons encore pour une heure ! », dit parfois le pêcheur Cruz, et longtemps, un siècle après, il ajoute :

— « Oui, je crois que dans une heure, une heure et demie, le port ne sera pas loin ! »

Qu’est-ce que cela nous fait ? Qu’il nous laisse sommeiller, perdre conscience !