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C’est court comme une visite de jour de l’an. Bonjour, bonsoir, à des gens qu’on déteste ou qu’on méprise. La nouvelle est la poignée de mains banale de l’homme de lettres aux créatures de son esprit. Elle s’oublie comme une relation d’omnibus.

Mais écrire un roman ! un roman complet, avec des personnages qui ne meurent pas trop vite !

Mes jeunes confrères me l’ont dit :

— « Tu réussis les petites machines, mais ne t’attaque jamais à une grosse affaire. Tu manques d’haleine, vois-tu. »

J’en conviens, j’ai besoin de souffler à la troisième page, de prendre l’air, de faire une saison de paresse ; et quand je retourne à mes bonshommes, j’ai peur, comme si j’allais traîner des morts sur une route qui monte, comme si je devais renouer avec une maîtresse devenue grand’mère pendant mon absence.

Je me revois en classe après ma majorité. Mais j’ai mon œil-de-bœuf à côté de moi, sous la main. Des bateaux s’en vont, d’autres rentrent et se déshabillent de leurs voiles. Le flot monte ; les vieux rochers se couvrent d’écume,