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maisons du village, je me tranquillisai, et, joyeux comme un homme qui vient d’éviter un grand danger, je risquai une petite entreprise. Je laissai glisser jusqu’à ma hanche le bras de Madame Vernet et, en le relevant, le serrai : elle ne me rendit pas la pression. Je feignis de butter une pierre et de perdre l’équilibre : elle poussa un cri, mais me laissa reprendre mon aplomb tout seul. Au Christ de granit qui, planté sur la jetée, protège, de ses bras écartés, le village contre la mer, Madame Vernet s’arrêta pour souffler.

Elle trouvait au Christ une figure « originale ». Elle s’assit sur une marche et me pria de m’éloigner un peu. Elle voulait rester avec elle-même. Les mains dans mes poches, j’allai, sur la pointe du pied, écouter la mer. La lune y projetait un sentier étroit, et si direct, que je n’aurais eu qu’à enjamber pour monter vers elle. Parfois, je me rapprochais, à reculons, de Madame Vernet, espérant qu’elle allait me dire : « Rentrons ! »

Elle continuait de s’absorber. Les petits phares me regardaient. Je jetai des cailloux dans l’eau.