Oui… Au revoir, ma petite Simone… Soyez heureuse là-bas !…
Comme votre voix tremble…
… Soyez heureuse, vous qui le pouvez ! Amusez-vous… Et pensez quelquefois à ceux qui restent, à ceux qui…
Eh bien ! Robert… Votre visage est bouleversé. Qu’avez-vous donc ?
Rien !
À bientôt. Robert… À mon retour.
Non !
Quoi ?
Non !… Je ne viendrai plus. Je ne veux plus vous revoir.
Mais pourquoi, Robert ? Pourquoi ?
Parce que je vous aime.
Robert !
Non, non, ne m’ordonnez pas de me taire ! Je n’en puis plus ! J’étouffe ! Je ne peux plus garder pour moi ce secret qui me tue ! Je vous aime, Simone ! Je vous aime depuis le premier jour où je vous ai vue !
Taisez-vous !
Ah ! ce premier jour ! Ce premier jour !… Nous avions été invités, Guillaume et moi, à passer la soirée chez les Morel…
Chez les Morel ?…
Oui. Une soirée de musique. Une soirée en votre honneur. Je me souviens. Je me souviens de tout !… Guillaume est venu me chercher en taxi. Sur le quai des Grands-Augustins, un autobus nous a frôlés. La voiture a fait une embardée. Guillaume m’a dit : « Nous l’avons échappé belle ! »… J’ai regretté souvent, depuis ce soir-là, que cet autobus ne nous ait pas broyés !
Ah ! ne dites pas une chose pareille ! Vous n'avez pas le droit de parler ainsi, Robert !
Et puis : le vide des jours qui ont suivi !… J'étais comme frappé de stupeur. Je ne travaillais plus. Je n’avais plus qu’une seule pensée : vous revoir !… Et, un matin, Guillaume qui frappe à ma porte et qui me dit : « Tu sais, la belle blonde de l’autre soir, qui jouait du piano chez les Morel… » — « Oui ! » — « Eh bien ! je l’épouse, mon vieux !… » Et voilà. C'était fait. Le malheur de ma vie était consommé !
Mon pauvre ami !
Ne me plaignez pas !… Votre mariage avec Guillaume était une chose toute naturelle… Guillaume est riche, n’est-ce pas ?
Ho ! Vous n’avez pas cru…
Un Darvières ! Qu’étais-je, auprès de mon camarade ? Un misérable petit architecte de quatre sous, une sorte de maçon distingué, — moins que rien, n’est-ce pas ?… Alors, il n’y avait rien à dire !… Et je n’ai rien dit.
Robert !
Je n’ai rien dit. Et j’ai même été témoin à votre mariage… Mais oui ; le sort a de ces ironies. J’ai mis des gants blancs et j’ai signé sur le registre, à la mairie, puis à l’église… « Tous mes vœux de bonheur ! » Bravo !… Ah ! ils étaient sincères, les vœux que je formais pour vous, à ce moment-là !
Robert, taisez-vous ! Vous me faites peur !
Peur ? Allons donc ! C’est à ce moment-là que vous auriez dû avoir peur, en devinant mon désespoir et mon affolement… Mais vous ne vous souciiez guère de moi ! Vous étiez toute à votre bonheur !… À votre bonheur !… Et peu vous impor-