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Robert

Oui… Au revoir, ma petite Simone… Soyez heureuse là-bas !…

Simone

Comme votre voix tremble…

Robert

… Soyez heureuse, vous qui le pouvez ! Amusez-vous… Et pensez quelquefois à ceux qui restent, à ceux qui…

Simone

Eh bien ! Robert… Votre visage est bouleversé. Qu’avez-vous donc ?

Robert

Rien !

Simone, émue et perplexe

À bientôt. Robert… À mon retour.

Robert

Non !

Simone

Quoi ?

Robert

Non !… Je ne viendrai plus. Je ne veux plus vous revoir.

Simone

Mais pourquoi, Robert ? Pourquoi ?

Robert, avec une sombre exaltation

Parce que je vous aime.

Simone, comme insultée

Robert !

Robert

Non, non, ne m’ordonnez pas de me taire ! Je n’en puis plus ! J’étouffe ! Je ne peux plus garder pour moi ce secret qui me tue ! Je vous aime, Simone ! Je vous aime depuis le premier jour où je vous ai vue !

Simone, désorientée

Taisez-vous !

Robert

Ah ! ce premier jour ! Ce premier jour !… Nous avions été invités, Guillaume et moi, à passer la soirée chez les Morel…

Simone

Chez les Morel ?…

Robert

Oui. Une soirée de musique. Une soirée en votre honneur. Je me souviens. Je me souviens de tout !… Guillaume est venu me chercher en taxi. Sur le quai des Grands-Augustins, un autobus nous a frôlés. La voiture a fait une embardée. Guillaume m’a dit : « Nous l’avons échappé belle ! »… J’ai regretté souvent, depuis ce soir-là, que cet autobus ne nous ait pas broyés !

Simone

Ah ! ne dites pas une chose pareille ! Vous n'avez pas le droit de parler ainsi, Robert !

Robert

Et puis : le vide des jours qui ont suivi !… J'étais comme frappé de stupeur. Je ne travaillais plus. Je n’avais plus qu’une seule pensée : vous revoir !… Et, un matin, Guillaume qui frappe à ma porte et qui me dit : « Tu sais, la belle blonde de l’autre soir, qui jouait du piano chez les Morel… » — « Oui ! » — « Eh bien ! je l’épouse, mon vieux !… » Et voilà. C'était fait. Le malheur de ma vie était consommé !

Simone, apitoyée

Mon pauvre ami !

Robert

Ne me plaignez pas !… Votre mariage avec Guillaume était une chose toute naturelle… Guillaume est riche, n’est-ce pas ?

Simone

Ho ! Vous n’avez pas cru…

Robert

Un Darvières ! Qu’étais-je, auprès de mon camarade ? Un misérable petit architecte de quatre sous, une sorte de maçon distingué, — moins que rien, n’est-ce pas ?… Alors, il n’y avait rien à dire !… Et je n’ai rien dit.

Simone, profondément émue

Robert !

Robert

Je n’ai rien dit. Et j’ai même été témoin à votre mariage… Mais oui ; le sort a de ces ironies. J’ai mis des gants blancs et j’ai signé sur le registre, à la mairie, puis à l’église… « Tous mes vœux de bonheur ! » Bravo !… Ah ! ils étaient sincères, les vœux que je formais pour vous, à ce moment-là !

Simone

Robert, taisez-vous ! Vous me faites peur !

Robert

Peur ? Allons donc ! C’est à ce moment-là que vous auriez dû avoir peur, en devinant mon désespoir et mon affolement… Mais vous ne vous souciiez guère de moi ! Vous étiez toute à votre bonheur !… À votre bonheur !… Et peu vous impor-