Pour vous, peut-être…, parce que moi, vous savez, je suis enchantée de quitter Paris, sa petite pluie, son brouillard gluant, pour ce beau pays sec qui m’attend là-bas. Si je n’avais pas le regret de laisser Guillaume à ce maudit portrait, je partirais le cœur léger.
Vous êtes égoïste, comme tous les gens heureux.
Mon Dieu ! que c’est agaçant de vous entendre gémir sans cesse !… Vous avez tout pour être heureux, vous aussi !
Oui !… (Concentré :) Croyez-vous que j’aie tout, Simone ?
Il me semble !… Que vous êtes triste, aujourd’hui ! (Changeant de ton :) Eh bien, pour vous dérider, je vais vous faire un cadeau !
Un cadeau ?
Oui. Tenez : regardez ce que j’ai trouvé tout à l’heure, en rangeant des tiroirs.
Une photo de l’École !
Je vous la donne.
Je vous remercie… Quel vieux souvenir !
J’étais sûre de vous faire plaisir. Cela remonte à quelle date ?
1910. Nous faisions partie de l’atelier Lalou, votre mari et moi… Elle est un peu ridicule, cette photo ! Chacun de nous y arbore l’attribut de son talent particulier, ou fait le geste qui symbolise le mieux ses habitudes ou ses manies…
Pourquoi Guillaume porte-t-il cette couronne de navets ?
Parce que « navet » et « aquarelle » sont synonymes en argot d’atelier. La famille de votre mari exigeait qu’il devînt architecte et l’avait fourré d’autorité dans l’atelier Lalou. Mais Guillaume ne rêvait déjà que peinture. Cela explique son diadème de navets.
Et vous, pourquoi allongez-vous les deux mains vers ce petit pâlot qui est assis devant vous, les yeux fermés ?
Je commençais à m’occuper d’hypnotisme, à cette époque.
Et vous n’avez pas continué ?
Si.
Vous ne me l’avez jamais dit. Guillaume non plus. Le sait-il ?
Non.
Ça existe donc, l’hypnotisme ? Ça existe vraiment, les tables tournantes, les médiums, les apparitions ? Ah ! Ah ! Voyons, Robert, vous ? Vous tombez dans ce panneau ? (Elle rit.)
Ne riez pas, ne riez pas. D’abord, je ne vous parle, moi, que d’hypnotisme, et non de spiritisme. Il n’est ici question que du sommeil hypnotique, provoqué par la volonté de l’hypnotiseur, — le sommeil étrange pendant lequel des ordres sont dictés au sujet pour sa conduite future…
Est-ce possible, allons ?
Vous voyez combien j’avais raison de garder le silence. Je vous donne ma parole d’honneur que l’hypnotisme n’est pas un simple champ de mystification, et qu’il faut y voir une science, à peine naissante mais authentique, une science dont les profondeurs entrevues nous épouvantent, — une science aux limites insoupçonnables !… Pour ma part, j’ai vu, de mes yeux vu…
Quoi donc ?