Oui. Ordre de la Faculté ! Je n'arrive pas à me débarrasser de ma grippe du jour de l'an ; je tousse encore le matin, et, le soir, j'ai parfois un peu de température. Alors, Guillaume a insisté pour que j'aille me reposer quelques semaines sur la Riviera.
Il t'accompagne là-bas ?
Non. Impossible. Il a commencé le portrait de Lady Hamilton ; il ne peut pas l'interrompre.
Eh bien ! en voilà, une nouvelle ! Le couple étonnant qui se disloque ! Les « amants légitimes », comme on vous surnomme partout, qui vont chacun de son côté !
C'est la première fois que nous nous séparons depuis notre mariage ; et il a fallu, vraiment, que le médecin me fasse peur, pour que j'accepte de quitter Paris sans Guillaume.
Vous ne resterez pas longtemps sur la Côte ?
Oh ! non. Quelques semaines seulement ; juste le temps de me reposer.
Te reposer ? Ah ! là, là ! Est-ce qu'on va dans le Midi pour se reposer ! Je te connais : tu seras chaque jour au Casino !
Bah! tu sais, autant prendre le thé là qu'ailleurs.
Alors, votre mari, vous allez le laisser, comme ça, tout seul. Prenez garde !
J'ai confiance en lui.
Le fait est qu’il t’aime tant !
Justement ! C'est terrible, un homme qui aime sa femme si passionnément. Il a pris l'habitude de l'amour, et cette habitude-là, mes enfants, c'est pis que toutes les autres. Moi, je ne serais pas tranquille, à la place de Simone.
Vous êtes bien bonne, ma chérie ! Je vous remercie. Je suis sans doute très orgueilleuse, mais je laisse Guillaume à Paris sans la moindre appréhension.
D'ailleurs, il est si occupé…
Oui : ses cours, ses leçons, le portrait de Lady Hamilton…
(Entre Louis.)
Madame a sonné ?
Enlevez le plateau… Vous avez mis les housses dans le grand salon ?
Oui, Madame ; on est en train d'envelopper le lustre.
Bien. Merci.
(Louis sort.)
Tu boucles la maison ? Mais alors…
Guillaume compte prendre ses repas au Cercle pendant mon absence. Il s'ennuiera moins au Volney que seul dans notre salle à manger. D'ailleurs, je lui laisse le fumoir…
Son grand ami, Robert Samoy, viendra bien, peut-être, lui tenir compagnie…
Je ne sais pas. Robert Samoy se fait de plus en plus rare. Il y a des siècles que nous ne l'avons vu.
Ça vaut peut-être mieux !
Pourquoi donc ?
Oh ! je dis ça comme ça.
Tu as un drôle d'air… Que veux-tu dire par là ?
Moi ? Rien… Pour qu'on dise, ensuite, que je suis une mauvaise langue !