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À Camille Choisy,
À l’excellent ami,
Au prestigieux metteur en scène.

L’AMANT DE LA MORTE


ACTE PREMIER

Le boudoir de Simone Darvières. Les lampes sont allumées. Simone sert le thé à Ginette et à Maud, qui sont en visite.


Scène 1

SIMONE, GINETTE, MAUD
Par instants : LOUIS, le valet de chambre
GINETTE

À propos, Simone, tu seras libre de samedi en huit ?

SIMONE

De samedi en huit ?

GINETTE

Oui. J’aurai, ce jour-là, mon modèle espagnol.

MAUD

Ah ?

GINETTE

Vous ne vous imaginez pas ce que ce garçon est beau ! Je l’avais rencontré à Cadix, pendant notre voyage, l’an dernier. Il vendait des pastèques, à la porte d’une bodega. Il est venu à Paris chercher fortune. Je lui ai demandé de venir poser chez moi. J’ai commencé par faire des études de son profil, et puis…

MAUD

Et puis ?…

GINETTE

Et puis il a bien voulu poser l’ensemble. Ah ! quelle merveille, mes petites ! Apollon ! Apollon brun. Et une science instinctive des attitudes !

MAUD

Vous nous mettez l’eau à la bouche !

GINETTE

C’est une force de la nature ! Il vit nu comme un beau fruit, comme un galet sur la plage.

SIMONE

Ma pauvre Ginette, comme tu t’emballes !

GINETTE

Oh ! toi, tu es incapable de goûter les merveilles de l’art moderne. Tu restes sous l’influence de ton mari, qui n’a jamais pu, de son côté, oublier les leçons des Beaux-Arts. Un peintre officiel ! Guillaume Darvières ne sera jamais qu’un peintre officiel.

MAUD

Dites tout de suite que c’est un pompier !

GINETTE

Je veux dire que son talent académique…

SIMONE

Évidemment, toi et lui, ce ne sont pas les mêmes académies qui vous intéressent.

GINETTE

Enfin, je compte sur toi, ― sur vous deux, si le maître consent à t’accompagner.

SIMONE

Hélas ! ma petite Ginette, je regrette infiniment, mais, de samedi en huit, je ne serai pas à Paris.

MAUD

Vous partez ?