Comment ai-je eu la force de continuer mes recherches à travers ce charnier ? Je ne sais pas ! Les ressources nerveuses sont inépuisables… Enfin, je l'ai reconnue… parmi les morts. On avait transporté son pauvre corps défiguré dans une salle de la gare. On l’avait recouvert d’un drap mortuaire… Tout mon bonheur tenait, sous ce linceul !…
Tu es sûr ?… C’était elle ?… Tu l’as bien reconnue ?
Oui.
Son visage ?…
Oh ! bien sûr, je n’ai pas reconnu ses traits… ni son corps… puisqu’elle était écrasée… Elle avait été serrée, paraît-il, entre deux banquettes…
Oh !
Oui, c’est horrible… Mais, à certains détails, je ne pouvais pas me tromper… Tiens, voilà ce que j’ai retrouvé sur elle.
Quoi ?
Ceci.
Un porte-cigarettes en or ? Mais cela pouvait appartenir à une autre femme. Si tu n'as trouvé que…
Et cela ?
Son petit sac !
Tu vois ! Il ne peut pas y avoir de doute. Tu reconnais toi-même que ce sac appartenait à Simone… Elle crispait — là — ses doigts raidis… Il a fallu briser les petits os pour avoir le sac !…
Ah !
Le lendemain, je suis reparti pour Paris avec le corps de ma pauvre chérie… Je l’ai fait enterrer dans notre caveau, auprès de ma mère. Je n’ai voulu avertir personne…
Et depuis, qu’as-tu fait ?
Depuis, je me suis enfermé chez moi. J’y ai connu des heures de révolte, de folie… J’étalais ses robes, ses bijoux, toutes les choses qu’elle a portées. Je les respirais. Et je restais là, des heures, comme un maniaque, comme un fou, à chercher le parfum de son âme, son âme si droite…
Oui, oui, c’était une adorable créature !
Tu ne peux pas savoir, toi !
Mais si ! C’est une affreuse perte…
Une perte irréparable !… (Un temps.) Tiens, regarde sa petite glace… Tu sais : cette petite glace qu’elle avait si peur de casser. Elle était là, intacte, — avec ce revolver, que je lui avais donné par précaution, à cause de la villa isolée de là-bas…
Il est chargé ?
Oui, il est chargé. Il y a là-dedans de quoi se défendre contre la vie, contre le souvenir, contre la douleur…
Guillaume !
… Et le jour où je ne pourrai plus la supporter, cette douleur…, ce jour-là… (Il appuie le canon du revolver contre sa poitrine.)
Guillaume !
La vie n’est plus possible ! Laisse-moi !
Tu es fou ! Je ne veux pas…