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Oh ! il saignait, celui-là, il s’exprimait !

M. Vernet roula sa ligne, cacha au pied d’un saule les deux poissons qu’une loutre y trouverait peut-être et s’en alla.

Il semblait plutôt gai et méditait en marche.

— Je serais sans excuses, se disait-il. Chasseur, même si je pouvais m’offrir avec mon argent d’autre viande, je mangeais du moins le gibier, je me nourrissais, je ne donnais pas la mort uniquement par plaisir, mais Mme Vernet rit bien, quand je lui apporte mes quelques poissons raides et secs, et que je n’ose même pas, honteux, la prier de les faire cuire. C’est le chat qui se régale. Qu’il aille les pêcher lui-même s’il veut ! Moi, je casse ma ligne !

Cependant, comme il tenait encore les morceaux brisés, M. Vernet murmura, non sans tristesse :

— Est-ce enfin devenir sage, est-ce perdre déjà le goût de vivre ?


AU JARDIN

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La Bêche. — Fac et spera.

La Pioche. — Moi aussi.

Les Fleurs. — Fera-t-il soleil aujourd’hui ?

Le Tournesol. — Oui, si je veux.

L’Arrosoir. — Pardon, si je veux, il pleuvra, j’ôte ma pomme, à torrents.



Le Rosier. — Oh ! quel vent !

Le Tuteur. — Je suis là.

La Framboise. — Pourquoi les roses ont-elles des épines ? Ça ne se mange pas, une rose.

La Carpe du vivier. — Bien dit ! C’est parce qu’on me mange que je pique, moi, avec mes arêtes.

Le Chardon. — Oui, mais trop tard.

La Rose. — Me trouves-tu belle ?

Le Frelon. — Il faudrait voir les dessous.

La Rose. — Entre.

L’Abeille. — Du courage ! Tout le monde me dit que je travaille bien. J’espère, à la fin du mois, passer chef de rayon.

Les Violettes. — Nous sommes toutes officiers d’académie.

Les Violettes blanches. — Raison de plus pour être modestes, mes sœurs.

Le Poireau. — Sans doute. Est-ce que je me vante ?

L’ÉPinard. — C’est moi qui suis l’oseille.

L’Oseille. — Mais non, c’est moi.

L’Échalote. — Oh ! que ça sent mauvais.

L’Ail. — Je parie que c’est encore l’œillet.

L’Asperge. — Mon petit doigt me dit tout.

La Pomme de terre. — Je crois que je viens de faire mes petits.

Le Pommier, au Poirier d’en face. — C’est ta poire, ta poire, ta poire… c’est ta poire que je voudrais produire.