Page:Renard - Histoires naturelles, 1909.djvu/50

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.



LA JUMENT

_______


C’est la rentrée générale des foins ; les granges se bourrent jusqu’aux tuiles faîtières. Les hommes et les femmes se dépêchent, parce que le temps menace et que, si la pluie tombait sur le foin coupé, il perdrait de sa valeur. Tous les chariots roulent ; on charge l’un, tandis que les chevaux ramènent l’autre à la ferme. Il fait déjà nuit que le va-et-vient dure encore.

Une jument mère hennit dans ses brancards. Elle répond au poulain qui l’appelait et qui a passé la journée au pré sans boire.

Elle sent que c’est la fin, qu’elle va le rejoindre et elle tire du collier comme si elle était seule attelée. Le chariot s’immobilise près du mur de la grange. On dételle, et la jument libre irait d’un trot lourd à la barrière où le poulain tend le nez, si on ne l’arrêtait, parce qu’il faut qu’elle retourne chercher là-bas le dernier chariot.

_____

LE CHEVAL

_____

Il n’est pas beau, mon cheval. Il a trop de nœuds et de salières, les côtes plates, une queue de rat et des incisives d’Anglaise. Mais il m’attendrit. Je n’en reviens pas qu’il reste à mon service et se laisse, sans révolte, tourner et retourner.

Chaque fois que je l’attelle, je m’attends qu’il me dise : non, d’un signe brusque, et détale.

Point. Il baisse et lève sa grosse tête comme pour remettre un chapeau d’aplomb, recule avec docilité entre les brancards.

Aussi je ne lui ménage ni l’avoine ni le maïs. Je le brosse jusqu’à ce que le poil brille comme une cerise. Je peigne sa crinière, je tresse sa queue maigre. Je le flatte de la main et de la voix. J’éponge ses yeux, je cire ses pieds.

Est-ce que ça le touche ?

On ne sait pas.