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LA MORT DE BRUNETTE

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Philippe, qui me réveille, me dit qu’il s’est levé la nuit pour l’écouter et qu’elle avait le souffle calme.

Mais, depuis ce matin, elle l’inquiète.

Il lui donne du foin sec et elle le laisse.

Il offre un peu d’herbe fraîche, et Brunette, d’ordinaire si friande, y touche à peine. Elle ne regarde plus son veau et supporte mal ses coups de nez quand il se dresse sur ses pattes rigides, pour téter.

Philippe les sépare et attache le veau loin de la mère. Brunette n’a pas l’air de s’en apercevoir.



L’inquiétude de Philippe nous gagne tous. Les enfants même veulent se lever.

Le vétérinaire arrive, examine Brunette et la fait sortir de l’écurie. Elle se cogne au mur et elle bute contre le pas de la porte. Elle tomberait ; il faut la rentrer.

— Elle est bien malade, dit le vétérinaire.

Nous n’osons pas lui demander ce qu’elle a.

Il craint une fièvre de lait, souvent fatale, surtout aux bonnes laitières, et se rappelant une à une celles qu’on croyait perdues et qu’il a sauvées, il écarte avec un pinceau, sur les reins de Brunette, le liquide d’une fiole.

— Il agira comme un vésicatoire, dit-il. J’en ignore la composition exacte. Ça vient de Paris. Si le mal ne gagne pas le cerveau, elle s’en tirera toute seule, sinon, j’emploierai la méthode de l’eau glacée. Elle étonne les paysans simples, mais je sais à qui je parle.

— Faites, monsieur.

Brunette, couchée sur la paille, peut encore supporter le poids de sa tête. Elle cesse de ruminer. Elle semble retenir sa