Page:Renard - Histoires naturelles, 1909.djvu/118

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’elles, assommée, pirouette. Le chien saute dessus et me rapporte une loque sanglante, une moitié de perdrix. Le coup de poing a emporté le reste.

Allons ! nous ne sommes pas bredouille ! Le chien gambade et je me dandine d’orgueil.


Ah ! je mériterais un bon coup de fusil dans les fesses !


LA BÉCASSE

_____


I

Il ne restait, d’un soleil d’avril, que des lueurs roses aux nuages qui ne bougeaient plus, comme arrivés.

La nuit montait du sol et nous vêtait peu à peu, dans la clairière étroite où mon père attendait les bécasses.

Debout près de lui, je ne distinguais nettement que sa figure. Plus grand que moi, il me voyait à peine, et le chien soufflait, invisible à nos pieds.

Les grives se dépêchaient de rentrer au bois où le merle jetait son cri guttural, cette espèce de hennissement qui est un ordre à tous les oiseaux de se taire et de dormir.

La bécasse allait bientôt quitter ses retraites de feuilles mortes et s’élever. Quand il fait doux, comme ce soir-là, elle s’attarde, avant de gagner la plaine. Elle tourne sur le bois et se cherche une compagne. On devine, à son appel léger, qu’elle s’approche ou s’éloigne. Elle passe d’un vol lourd entre les gros chênes et son long bec pend si bas qu’elle semble se promener en l’air avec une petite canne.

Comme j’écoutais et regardais en tous sens, mon père brusquement fit feu, mais il ne suivit pas le chien qui s’élançait.

— Tu l’as manquée ? lui dis-je.

— Je n’ai pas tiré, dit-il. Mon fusil vient de partir dans mes mains.

— Tout seul ?

— Oui.

— Ah !… une branche peut-être ?

— Je ne sais pas.

Je l’entendais ôter sa cartouche vide.

— Comment le tenais-tu ?

N’avait-il pas compris ?

— Je te demande de quel côté était le canon ?

Comme il ne répondait plus, je n’osais plus parler.

Enfin je lui dis :

— Tu aurais pu tuer… le chien.

— Allons-nous-en, dit mon père.

II

Ce soir, il fait un temps doux après une pluie fine.

On part vers cinq heures, on gagne le bois et on marche sur les feuilles jusqu’au coucher du soleil.

Le chien multiplie dans le taillis ses lieues de chien. Sentira-t-il des bécasses ?

Peu importe au chasseur, s’il est poète.

Le quart d’heure de la croule venu, on se place