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LES PERDRIX

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La perdrix et le laboureur vivent en paix, lui derrière sa charrue, elle dans la luzerne voisine, à la distance qu’il faut l’un de l’autre pour ne pas se gêner. La perdrix connaît la voix du laboureur, elle ne le redoute pas quand il crie ou qu’il jure.



Que la charrue grince, que le bœuf tousse et que l’âne se mette à braire, elle sait que ce n’est rien.

Et cette paix dure jusqu’à ce que je la trouble.

Mais j’arrive et la perdrix s’envole, le laboureur n’est pas tranquille, le bœuf non plus, l’âne non plus. Je tire, et au fracas d’un importun, toute la nature se désordonne.


Ces perdrix, je les lève d’abord dans une éteule, puis je les relève dans une luzerne, puis je les relève dans un pré, puis le long d’une haie ; puis à la corne d’un bois, puis…

Et tout à coup je m’arrête, en sueur, et je m’écrie :

— Ah ! les sauvages, me font-elles courir !


De loin, j’ai aperçu quelque chose au pied d’un arbre, au milieu du pré.

Je m’approche de la haie et je regarde par-dessus.

Il me semble qu’un col d’oiseau se dresse à l’ombre de l’arbre. Aussitôt mes battements de cœur s’accélèrent. Il ne peut y avoir dans cette herbe que des perdrix. Par un signal familier, la mère, en m’entendant, les a fait se coucher à plat. Elle-même s’est baissée. Son col seul reste droit et elle veille. Mais j’hésite, car le col ne remue pas et j’ai peur de me tromper, de tirer sur une racine.



Ça et là, autour de l’arbre, des taches, jaunes, perdrix ou motte de terre, achèvent de me troubler la vue.

Si je fais partir les perdrix, les branches