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le lapidaire

leurs cheveux. Quelques-unes pour imiter Angela Calderini, la favorite des louanges, dont la place encore inoccupée causait déjà bien des bonheurs, avaient échafaudé sur leur front deux frisures en pointe, comme des cornes, à la mode de Venise, et toutes s’étaient attifées des étoffes les plus rares, le grand luxe résidant plutôt dans la richesse des robes que dans leur forme. Les taches de graisse ne diminuaient pas, d’ailleurs, la beauté d’un brocart, et l’on en voyait plus que de raison aux satins des corsages tendus sur les corsets de fer, et parmi les larges plis des jupes évasées.

Toutes ces jolies créatures, lourdement chargées des bijoux familiaux à l’occasion de cette cérémonie nationale, souffraient de l’immobilité prolongée que le decorum leur imposait, et elles tournaient des regards d’impatience vers un balcon jailli du mur, en face des trônes. Il y avait sur cette tribune des joueurs de viole, de hautbois et de flûte qui, après les discours patriotiques, devaient rhythmer le faste d’un bal officiel. Mais les musiciens, en dépit des œillades, restaient silencieux, et les jeunes filles s’agitaient désespérément.

Dans la hâte d’arriver à point nommé, on avait devancé le moment indiqué, et maintenant, il fallait bien attendre la Seigneurie dans une déférente inaction.