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le lapidaire

n’avait pas ambitionnée si complète ni surtout si vertueuse, et elle avait résolu, dans sa vanité, de s’emparer d’un pouvoir encore plus absolu en usant de cette arme dont, à sa stupéfaction, elle n’avait pas eu besoin jusqu’alors : l’amour.

Elle décida de régner sur celui qui régnait.

Toute autre qu’Angela Calderini se fût attaquée au doge, prince apparent des Génois, mais la perspicace Vénitienne sut découvrir derrière ce mannequin le maître véritable, l’homme nommé le libérateur et le père de la patrie, l’organisateur de la République, l’amiral fameux, monarque de la mer, que deux rois se disputaient, le conseiller de Charles-Quint : Andrea Doria.

Certes, la tâche de séduire un tel vainqueur semblait impossible, et en réalité elle l’était. Andrea Doria professait l’austérité la plus rigide. Sa vieillesse robuste et souple se redressait au milieu de campagnes incessantes et de travaux diplomatiques sans trêve ; dans le fracas des abordages et des ouragans, il combinait des traités ; sa vie ne suffisait point à son labeur, et quand il s’accordait un bref repos, c’était pour s’entourer de sculpteurs et de peintres qui ornaient son palais de Fassuolo, c’était pour retrouver la compagnie de sa femme Peretta, et c’était surtout pour repartir plus dispos vers les batailles et les tempêtes.