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fantômes et fantoches

opérait sans qu’il s’en doutât, aussi n’en put-il démêler la nature et juger que, contre toute apparence, la force de cette femme n’était fondée sur aucun artifice, qu’elle était irrésistible et s’appelait la Jeunesse.

Or, s’il avait compris ses sentiments, Hermann les eût laissé grandir, car la grâce de la jeune femme n’éveillait point en lui de transports virils et honteux, mais son cœur d’aïeul tressaillait très tendrement devant cette grande allégresse puérile.

Il l’amena lui-même aux rubis pour savourer le redoublement de son bonheur et ne fut pas déçu. Elle prit les dix pierres, emplissant d’un chaos féerique la coupe de ses mains :

— Voyez, s’écria-t-elle, cela s’adapte on ne peut mieux à la couleur de mon costume. Vous savez, messire orfèvre, que je me vêts toujours de cette teinte. J’ai des coffrets pleins de rubis afin que les joyaux et les étoiles soient d’accord ; mais les miens vont me sembler ternis, maintenant. Il faudra les vendre, Pietro, dit-elle au personnage ambigu qui la suivait pas à pas ; puis, elle se tourna brusquement vers le lapidaire et lui dit, sur ce ton grave et mutin à la fois des enfants :

— Je vous achète vos rubis. Quel en est le prix ?

La stupeur des assistants causa un silence subit.