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fantômes et fantoches

afin que sa camériste pût la chausser de patins à la vénitienne, puis, gênée par cette rallonge disgracieuse cachée sous la longue jupe, l’air d’une impotente disproportionnée, cheminant clopin-clopant, la main aux épaules de deux jeunes hommes, elle approcha lentement d’Hermann sa beauté grasse et souriante, vêtue d’écarlate selon la préférence de ses compatriotes.

D’une patricienne de Venise, elle possédait tout ce que l’argent, l’art et la patience pouvaient acquérir. Elle portait l’accoutrement des femmes nobles ; comme les leurs, sa chevelure devait à l’artifice ses reflets de cuivre rouge ; elle avait pris leurs allures ; et son teint même, son teint blafard de recluse épaissie, rappelait, sous le même éclat emprunté, celui des dogaresses qui s’ennuyaient ducalement toute la vie à l’ombre des palais ou des gondoles closes, et qui, sur les terrasses où leurs cheveux se teignaient de soleil, préservaient l’aristocratique pâleur sous la visière d’une solana.

Mais à travers ces charmes, ou du moins ces dehors commandés par le caprice du moment, un être populacier transparaissait, pour certains yeux, aux lignes sans pureté du profil, aux doigts plébéiens dans leurs bagues et sous le point de Venise ; et le vieux lapidaire, mal prévenu par ses penchants secrets, se plut à croire que la rouée