Page:Renard - Fantômes et fantoches, 1905.djvu/45

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
29
le lapidaire

quemment trouver le colosse pâle afin de lui vendre leurs précieuses marchandises.

La petite rue s’emplissait de tous ces gens, et son étroitesse leur donnait l’aspect d’une foule qui parfois s’animait jusqu’au tumulte quand les badauds flânant sur le port avaient signalé l’arrivée d’un vaisseau exotique. En effet, nombre de felouques allongées, de caravelles aux antennes courbes et pointues, de tartanes bariolées de la carène à la voilure, venaient incessamment jeter l’ancre près des hautes galères de la République ; et cette flottille gaiement disparate, amarrée contre l’escadre comme pour en corriger l’austère uniformité, amenait souvent à Gênes des courtiers, des amateurs, attirés par la réputation d’Hermann et venus pour lui proposer des ventes ou des achats.

Alors, parmi les chuchotements intéressés, Hindous, Turcs, Africains trouaient la cohue dont la ruelle s’encombrait, et l’on voyait disparaître par la petite porte sculptée, sous des turbans lourds de broderies, ou coiffés de fez inélégants, soulevant sur leur passage soit des murmures émerveillés, soit le glapissement du sarcasme, tous ces personnages ahuris, en qui le peuple de Gênes, convaincu d’être le peuple normal, applaudissait tantôt et tantôt bafouait des exceptions magnifiques ou ridicules.