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fantômes et fantoches

iii


On croit aisément des personnes silencieuses qu’elles veulent dissimuler leur pensée ; Hermann parlant peu, les Génois s’imaginaient volontiers que sa vie recélait un mystère et ils s’efforçaient de le découvrir, comme toute bonne population soucieuse de perpétuer cette coutume ancestrale, base des sociétés urbaines : l’indiscrétion.

La plupart soupçonnaient l’Allemand d’hérésie, car son arrivée à Gênes avait coïncidé avec les premiers troubles luthériens. On en concluait généralement à sa couardise, mais certains absolvaient une fuite, d’ailleurs problématique, en disant que le possesseur d’une telle fortune, s’il était devenu suspect à ses compatriotes, eût été lestement dépouillé de ses biens dont il était responsable envers sa fille unique : Hilda. Or, cette vierge du Rhin avait séduit le joaillier Danielo Spirocelli, jeune Ligure au teint brun, coiffé de frisons noirs. Spirocelli, enivré de tant de blondeurs inaccoutumées et voluptueusement amusé par cette voix fraîche qui cadençait avec drôlerie