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fantômes et fantoches

volonté, froid, durci pour ainsi dire, comme un homme de glace, les yeux fatalement tirés vers un œil impérieux ; et je pressentais qu’il me faudrait dans un instant suivre mes yeux et marcher vers la gueule, dans l’ombre, quand un contact subit, enveloppant, âpre et gluant, le toucher d’une espèce de râpe molle, me parcourut de haut en bas : le mégalosaure me léchait. De sa langue nerveuse dont le bout agile, large ou pointu, cédant ou pénétrant, se recroquevillait de mille façons, il s’ingéniait à m’entraîner, et je m’appliquai au mur de toutes mes forces pour empêcher la langue damnée de se glisser entre lui et moi. L’effrayante caresse parvint cependant à s’insinuer derrière mon cou, et j’eus la sensation d’un oreiller tiède qui se fût soudain recourbé pour emboîter ma tête. D’une traction brutale, l’abject morceau de viande me fit saluer. C’était la délivrance. Mes yeux avaient échappé au regard… le charme était rompu. Je me précipitai de côté, vers les ténèbres du couloir, plus dégringolant que fuyant, et je m’abattis, tandis que le mégalosaure lançait son cri terrifiant de rails et de roues qui, poussé dans le château, en brisa toutes les vitres.

Je n’étais pas évanoui mais terrassé par une telle fatigue que je n’en valais guère mieux.