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fantômes et fantoches

venez, venez, je vous l’ordonne, Gambertin, ici !

Bast ! L’entêté ne m’écoutait pas. Il se penchait à outrance et avait l’air de regarder le sol, dans la nuit. Je ne voyais que la perspective de son dos étroit.

— Ne vous penchez pas comme ça, mon ami, oh ! c’est un mégalosaure, je vous dis ! Qu’est-ce que vous regardez par terre ?…

Soudain, je reculai, devant la porte ouverte, jusqu’au mur du couloir : la tête gigantesque du dinosaurien frôlait l’infortuné, et lui, ne bougeait pas !… D’un coup de son mufle verdâtre, le mégalosaure renversa Gambertin sur le parquet. Je compris alors la cause du bruit sec : déjà les puissantes mâchoires l’avaient décapité.

La tête du mégalosaure, une tête morne de tortue démesurée, emplissant la baie, entra tout entière. Dans un fracas de meubles renversés, elle se mit à rouler gauchement le cadavre de tous côtés et réussit enfin à le saisir par un pan de sa veste. Ses lèvres cornées, non préhensives, avaient rendu l’opération difficile, mais quand elle eut empoigné le vêtement, d’une brusque saccade elle engloutit le pauvre petit corps. Il y eut un horrible craquement d’os broyés, un bruit de formidable déglutition… une boule descendit dans le goitre flasque du monstre…