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fantômes et fantoches

Derrière son lorgnon, il avait l’air de faire sur mon compte des remarques du même ordre.

Mais tout cela dura le temps d’une enjambée, nous étions déjà l’un près de l’autre et je sentis, à travers la poignée de mains virile, s’étreindre nos âmes d’autrefois.

Après le dîner, Gambertin me fit passer dans une bibliothèque ornée de trophées exotiques, de panoplies sauvages où rayonnaient les lances, les flèches et les sagaies. Il m’avait déjà confessé, puis il m’avait raconté en grandes lignes sa vie aventureuse de par le monde.

Nous continuâmes à converser :

— Oui, voilà bientôt six ans que je suis revenu. J’ai retrouvé l’antique demeure bien décatie… mais je n’avais plus de quoi la réparer. La propriété foncière avait terriblement souffert, elle aussi. Le fermier mort, à mon retour toutes mes terres étaient en friche… Elles sont louées maintenant à des villageois.

— Il me semble, répartis-je, qu’à votre place, j’eusse pris plaisir à faire valoir mon fonds moi-même. C’était là une distraction précieuse dans votre isolement.

— Oh ! l’occupation ne manque pas, dit-il avec feu, j’en ai plus qu’il ne m’en faut pour le reste de mes jours, et si j’avais prévu…