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fantômes et fantoches

— Hue, chauren ! fit l’homme.

Nous avançâmes. Sous le crépuscule, le pays ne m’accueillait pas avec ce rire printanier que j’avais rêvé. Il faisait chaud, certes ; il y avait des fleurs, oui ; mais en face de nous, de l’autre côté d’une forêt, une chaîne de montagnes grises attristait l’horizon. Elle semblait immuablement désolée ; on eût dit le refuge où novembre attend son tour, quelque chose comme l’hiver en permanence.

— Hue, chauren !

Singulier nom, pensai-je, c’est un mot d’ici.

Cependant, après vingt ans de Paris et dix heures de wagon trépidant, le calme champêtre me paraissait immense, une félicité soudaine m’attendrit. Mais nous allions vers la montagne rébarbative, et…

— Hue, chauren !

— Qu’est-ce que ça veut dire, ce nom-là ? dis-je au vieux.

— Chauren ? Vous chavez pas cha à Paris ?

Et il ricana.

Ah, pensai-je, cha ! Ce n’est pas chauren, c’est Sauren qu’il faut dire. Fichu accent !

Le paysan poursuivit, goguenard et spirituel :

— Vous chavez donc ren à Paris ?

Ren ! Parfait, me dis-je, ce n’est pas Sauren, c’est Saurien. Quel nom pour un cheval !