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les vacances de m. dupont

— Un camarade d’enfance. Nous nous sommes perdus de vue au sortir du collège. Riche, il a voyagé pour son plaisir jusqu’à devenir presque pauvre. Maintenant il habite un vieux château familial, les Ormes. Je ne sais trop ce qu’il y fait. Rien, sans doute. Il a eu l’idée de m’écrire pour se sentir un peu moins solitaire ici-bas… et voilà.

— Allez faire votre malle, Dupont, je suis heureux que je puis vous être utile. Vous avez bien le droit à six mois de congé tous les vingt ans. Vous partez aujourd’hui.

— Mais non, Brown, je ne veux pas, la besogne pèserait trop lourdement sur une seule tête ; l’exposition universelle augmentera justement le trafic. Ce n’est pas raisonnable…

— Plus un mot. C’est jugé ! dit-il assez brusquement.

Et pourtant, alors, j’étais sincère. Je ne crois pas m’être jamais trouvé plus désemparé qu’à ce moment-là. Cette liberté soudaine me produisait une sensation de vide, j’étais au bord de mes six mois de vacances comme au seuil du désert.

Mes mains saisirent celles de Brown avec une effusion comique assurément, car il éclata de rire et s’écria en me mettant dehors :

— Allons, ne faites pas le poète, gros Manfred !