Page:Renard - Fantômes et fantoches, 1905.djvu/210

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
194
fantômes et fantoches

Lavaret hésita :

— C’est une… invention… chimérique, irréalisable…

— Mais, dis-la donc, cria presque Briffaut, est-ce qu’un songeur sait seulement ce qui est réalisable ou non ?

Le compositeur reprit en rougissant :

— Voici un petit conte :

Il y avait jadis dans le Péloponèse un sculpteur notoire appelé Lysippe, de Sicyone.

Ce Lysippe, à l’insu de tous, retiré au fond d’une solitude, avait accompli son chef-d’œuvre.

Certes, il ignorait la valeur de ses travaux futurs, mais une voix l’assurait qu’il n’approcherait point de plus près la Perfection.

Alors, l’artiste fit venir Chrysis, et, parce qu’il aimait ses yeux d’or, il brisa l’athlète de marbre devant elle et dit :

« J’ai anéanti ma plus belle statue afin que tes yeux soient les seuls au monde à l’avoir contemplée, car seuls ils en étaient dignes. Et ils méritaient bien que Lysippe leur sacrifiât le plus glorieux de sa gloire. »

C’est une fable. Mais si cela était de l’histoire, pourrait-on séparer le souvenir de Chrysis d’avec celui de Lysippe ?