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fantômes et fantoches

gens qui me rencontrent, s’ils me trouvent jolie, se moquent de savoir comment je le suis. Et puis pourquoi médire des couleurs artificielles ? Et que resterait-il de la célèbre Joconde si l’on s’avisait de gratter la toile où l’a fait sourire Léonard de Vinci ?

Car Mme de Fryvol aime avec passion la fantaisie sous toutes ses formes.

C’est pourquoi son miroir d’élection est un antique bijou, un disque de cuivre poli dont le manche ciselé connut probablement la main paresseuse d’une Laïs. Mme de Fryvol se plaît à mettre le reflet de ses yeux sur le souvenir des yeux de la courtisane. Elle reste longtemps à s’imaginer Grecque et à retrouver au fond du métal terni le charme d’un passé de songe où elle change de chlamyde quatre ou cinq fois par jour.

Sans cesse elle trouve le moyen d’échanger avec son double une œillade sympathique.

S’avance-t-elle pour monter en automobile, la caisse vernie de sa voiture la fascine par sa propre rencontre.

C’est pour elle un bonheur de se voir marcher à l’envers, et comme sur les semelles d’escarpins renversés, dans la profondeur miroitante des asphaltes mouillés de pluie.

Ses amis savent bien, quand elle est penchée sur