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la fêlure

Soudain, la possibilité d’une issue traversa comme un éclair le chaos de mon désarroi ; je me rappelle alors avoir éclaté de rire, tant j’avais la certitude de mon salut.

J’entrai en coup de vent dans la maison. J’escaladai devant Burton mes six étages : la porte de ma chambre était restée ouverte, grand avantage sur Jacques Bernard, cette particularité me donnait le temps d’effectuer ma délivrance.

À la clarté de la lune, je saisis le crayon bleu et biffai prestement la fin de mon travail, supprimant ce qui suivait l’arrivée du peintre dans son atelier, c’est-à-dire le meurtre… puis tranquillisé, curieux de savoir comment l’être chimérique se tirerait d’affaire, je me retournai.

Burton fit irruption dans la chambre.

Je le considérais sans frayeur.

— Monsieur, balbutia-t-il d’une voix entrecoupée, haletante, Monsieur, payez-moi tout de suite les 97 fr. 50 que vous me devez pour un mois de pension à l’hôtel de la Jeunesse…

Démonté par cette injonction peu prévue, je tirai de ma poche le reste de mes ressources.

Un instant l’or et l’argent s’allumèrent dans la paume musculeuse du fantôme, sous son regard calculateur, puis il s’en alla, placide et muet.