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fantômes et fantoches

pour ma propre sécurité, car les yeux de Burton luisaient furieusement et ne se détachaient pas des miens.

Il me sembla qu’un péril depuis des mois menaçant fondait sur moi. Je ne vis de salut que dans la retraite, et pour échapper à l’étau du regard, je quittai le café.

À la manière des bêtes traquées, je me dirigeai instinctivement vers ma demeure. Mais, je l’aurais parié, Burton me suivait.

Son acte était inévitable. Il ne pouvait vivre que de l’existence dont je l’avais doué. Ma volonté actuelle ne pouvait plus rien contre ma volonté passée. Il accomplirait ponctuellement les actes imposés par mon bon plaisir à son personnage dans la partie presque définitive du roman. La scène finale m’apparut dans toute son horreur… l’assassin brandissant au-dessus de sa victime paralysée le pesant gourdin, et puis !…

C’en était trop. Je partis à toutes jambes vers la rue Bonaparte ; tout le sabbat dansait une ronde sous mon crâne.

Burton courait sur mes talons.

Mon chapeau s’envola… Est-ce que la fatalité s’abattait aussi sur moi ? M’étais-je donc photographié dans les traits du malheureux Jacques Bernard !… Que faire, mon Dieu ?