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fantômes et fantoches

l’œil fixe et sans regard, je donnai l’essor à ma rêverie. Burton y prit tout de suite un relief extraordinaire, je le voyais, comme dans le dernier chapitre, sirotant sa liqueur américaine en compagnie de ses deux acolytes. Mon caprice lui prêtait une allure bestiale et la force peu commune indispensable à l’accomplissement de son crime. Une barbe sans moustache, à la yankee, sertissait de cuivre sa face rougeaude, et il triturait sa canne entre des doigts énormes.

Je composais là un être des plus repoussants.

Toutefois, et je ne sais pourquoi, — peut-être à cause de personnes qui s’installèrent à grand remue-ménage en face de moi, — je changeai subitement la position et le costume de mon traître. Ce fut sans doute une bonne inspiration car l’image m’apparut dès lors bien plus vigoureuse.

En quelques minutes mon banquier se trouva totalement organisé, au physique comme au moral, seule, la bouche s’obstinait à rester quelconque, vague, à peine indiquée au fusain dans mon portrait achevé. Je ne m’acharnai point à la recherche d’une pareille vétille et, avant de prendre le chemin du restaurant, je fus un instant à regarder circuler la joyeuse cohue de sept heures. Mon esprit enfin détendu, se reposait à ces jugements incertains et