Page:Renard - Fantômes et fantoches, 1905.djvu/189

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
173
la fêlure

poing, au reçu de quelque protêt, et ses lèvres en étaient restées informes et pâles.

Des aventures semblables furent relatées par mes camarades, puis, les paroles devinrent banales et bientôt je n’écoutai plus. Aussi bien, une vie intense bouillonnait dans mon cerveau, mais je n’y distinguais pas bien nettement. Je crois que ma pensée s’attachait surtout à retrouver le chiffre exact de ma dette envers Duchâtel, encore n’en suis-je pas bien sûr.

Nous réglâmes la dépense. Le garçon s’empara de mon billet de cent francs, et me rendit la monnaie.

Je comptai : pourboire donné, il me restait 97 fr. 50.

— Venez-vous dîner, Farges, vil blagueur ?

— Ma foi non, répondis-je à Blondard. Ma faim s’était tue, et tout à coup, par un hasard inexplicable, au moment où ces mots « vil blagueur » mêlaient à mon petit calcul le souvenir du roman, je venais d’entrevoir en moi-même l’objet de mon désir : parmi d’autres pensées confuses celle de Burton se dressait vigoureusement. Je voulais en parachever les moindres détails pendant que je la tenais.

Demeuré seul au milieu de l’arrivée et du départ perpétuels des buveurs, le menton dans la main,