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la fêlure

L’absinthe opalisait leurs verres.

— Garçon ! Un Pernod pour Monsieur !

J’ajoutai :

— Et un sandwich !

Pendant que je dévorais ce maigre repas, mes camarades continuaient leur entretien. C’était une suite de potins. Amolin répondait aux on-dit de l’École des Beaux-Arts par des cancans issus du Conservatoire.

Lorsque j’eus englouti le petit pain fourré, nous parlâmes de tout un peu. Les seuls propos dont je me souvienne sont les derniers. Il y avait déjà quelque temps que nous étions là et nous savourions le quatrième verre d’absinthe, ma tournée. La conversation avait pris un tour plus sentencieux ; on discutait plus chaudement des opinions plus résolues, et chacun critiquait l’œuvre des amis avec une certitude d’autant plus manifeste que l’art du juge s’éloignait davantage de l’art du jugé.

— Vous, mon cher, me dit Blondard, je subis toujours le charme de vos machines quand je réussis à vous oublier complètement ; et ceux qui ne vous connaissent pas — vous et votre milieu — doivent vous trouver épatant.

— Tant mieux, répondis-je, car je fréquente peu le monde, mais pourquoi cette réticence à votre approbation ?